Lorsque j’ai débuté la rédaction de mon article sur Justin WALENTIN, je n’aurais jamais imaginé que les régions et villes que je cite dans ce billet fassent aujourd’hui l’actualité. En généalogie, on étudie l’histoire de nos ancêtres et de leur famille. Dans les périodes de guerre, on découvre la dure réalité de ce mot : la peur, les déplacements de population, les combats, les blessés, les disparus et les morts… Mon article relate les derniers jours de Justin, quelque part en Ukraine, près de le ville de Sumy, en août 1943. Aujourd’hui, nous sommes en février 2022, et rien ne semble avoir changé… Voici le parcours de Justin, soldat Malgré-Nous.
Présentation de Justin WALENTIN
Justin WALENTIN (ou VALENTIN) est le frère d’une de mes arrière-grand-mères maternelles, Anna WALENTIN. Il est le 14ème enfant de Paul WALENTIN et Marie HARTER (le couple aura au final 15 enfants). Il est né à Hombourg-Budange le 4 janvier 1923. De lui, je ne connais finalement que peu de choses.
La mémoire familiale raconte qu’il ressemblait beaucoup à mon arrière-grand-mère. Très récemment, j’ai pu récupérer, grâce à une cousine de ma grand-mère, deux photos de lui, et j’avoue qu’il y a une ressemblance.
Les recherches effectuées
Transcription du jugement de décès
Mes recherches ont débuté avec la découverte de la transcription du jugement de décès de Justin WALENTIN, retrouvé dans l’état civil de la commune de Luttange. On y apprend que le décès a été établi le 17 août 1943 à « Summy » en U.R.S.S. (Суми en Ukraine) par jugement en date du 4/07/1951. Je retrouve par ailleurs sa trace dans la liste des non-rentrés de la Moselle.
Le relevé des affectations militaires
Assez confiant, j’ai fait en 2018 une demande du relevés des affectations militaires auprès de l’ex-Deutsche Dienststelle-WASt à Berlin. Pourtant, sept mois plus tard, les services du Bundesarchiv m’informent qu’ils n’ont pas retrouvé le dossier de Justin… Quelle déception !
Le dossier individuel de régularisation d’état civil… et ses erreurs
Avec la mise en ligne des fiches nominatives des dossiers de régularisation d’état civil des Incorporés de Force sur le site Mémoire des Hommes, je pouvais continuer mes recherches. Rapidement, je retrouve la fiche de « Justin VALENTIN ». En complément, je réalise une demande d’aide de recherche sur le site « Malgré-nous.eu« . C’est M. Claude Harold qui me met sur la piste du Feld Post Nummer, permettant de retrouver la dernière localisation de Justin avant sa disparition.
Ainsi, la fiche du dossier individuel de régularisation d’état civil de Justin WALENTIN me permet de retrouver le dernier Feld Post Nummer (FPN, ou Feldpost) connu par la famille. Ce secteur postal permet de retrouver l’unité militaire du soldat recherché. La recherche du FPN sur le site Axis History me permet de déterminer que Justin se trouvait dans la deuxième compagnie du 175ème bataillon de pionniers (Pionier-Bataillon 175).
J’ai ensuite fait une demande de copie du dossier auprès du SHD de Caen. Celui-ci me donne plusieurs informations intéressantes, mais je note une différence avec le bataillon que j’avais retrouvé avec le FPN. En effet, le dossier de Justin signale qu’il était soldat au sein du 33ème pionnier comme le montre l’extrait du dossier individuel ci-dessous (SHD Caen – AC 21 P 238139). Qui dit vrai ?
Identification du bataillon
Pour résoudre cette question, je suis parti de l’hypothèse que Justin était bien au 175 bataillon de pionniers. Le site « Lexikon der Wehrmacht » signale que ce bataillon faisait partie de la 75ème Division d’infanterie (75. Infanterie-Division), elle-même intégrée dans le 7ème corps d’armée. Sur ce même site, la page traitant de la 75. Infanterie-Division décrit son historique avec de nombreuses cartes de situation. Ainsi, la carte datant du 1er août 1943 me confirme bien sa position dans le secteur de Ssumy (en bleu : 75ème division d’infanterie et 7ème corps d’armée).
J’ai vérifié si un 33ème bataillon ou régiment de pionniers pouvait être présent dans ce secteur. Après consultation des compositions du 323ème Kampfgruppe (Kpfgr 323) et de la 68. Infanterie-Division, je n’ai trouvé aucune trace. Je pense donc que Justin WALENTIN était donc bien dans le 175ème bataillon de pionniers. Vraisemblablement, la famille ne connaissait pas forcément le dernier régiment et il s’agit peut-être d’une erreur ?
Les circonstances de la blessure et du décès de Justin
Grâce aux informations retrouvées et notamment au dossier transmis par le Service Historique de la Défense, je peux désormais reconstituer le contexte et les circonstances de la disparition de Justin.
Incorporation
Après la signature de l’armistice de juin 1940 entre l’Allemagne et la France, les troupes du Troisième Reich occupent l’Alsace et la Moselle qui sont annexées de fait, car non reconnu par le droit international. En août 1942, le gauleiter Josef Bürckel, responsable de la Moselle annexée, impose le service militaire pour les jeunes hommes. Ainsi, à l’âge de 19 ans, Justin doit se conformer à l’obligation de service militaire dans l’armée allemande. Il est incorporé en octobre 1942.
Le front de l’Est, la bataille de Koursk
Depuis juin 1941, l’Allemagne Nazi avait lancé une opération d’envergure contre l’Union soviétique, dans une guerre totale, qui constitue un des plus grands théâtres d’opération militaire de l’histoire. L’avancée des Allemands fut extrêmement rapide au point d’arriver aux portes de Moscou durant l’hiver 41-42. Les troupes soviétiques lancent leur contre-offensive et repoussent l’armée allemande vers l’ouest. En 1942, la Wehrmacht va concentrer ses efforts plus au sud en direction des champs de pétrole du Caucase. De juillet 1942 à février 1943, les combats concentrés à Stalingrad font près de 2 millions de morts, civils et militaires. Après leur défaite, les Allemands reculent ensuite vers l’ouest. Les troupes Russes s’enfoncent alors dans les lignes allemandes à Koursk. Pour Hitler, c’est l’occasion de les encercler et de les détruire : c’est l’opération Citadelle.
Durant l’été 1943, 2700 chars allemands sont prêts à combattre contre 3600 chars soviétiques : c’est un des plus grands affrontements de blindés de l’histoire. Malgré la supériorité technique du char Tigre allemand, les Russes arrivent à contrer les Allemands grâce aux défenses anti-chars et à leurs embuscades, aidés par les espions qui arrivent à décoder les ordres militaires des Nazis. Face aux difficultés et aux défaites de son armée, Hitler décida d’arrêter l’opération Citadelle, passant de l’offensive à la défensive. Ce fut un véritable tournant sur le Front de l’Est.
Rapidement, l’armée soviétique prend l’ascendant et repousse les allemands vers l’ouest. Près de Sumy, le 7ème corps d’armée devait se défendre et éviter la percée des Russes, mais en vain. Justin WALENTIN, pionnier, devait aussi se battre.
Blessure et disparition
Le dossier individuel de régularisation de Justin m’a permis de connaître les circonstance exactes de sa disparition grâce à la transcription traduite de la lettre informant la disparition de Justin envoyée à sa famille. Cette lettre est émouvante.
Dans les combats de défense de l’armée allemande, la compagnie à laquelle appartenait Justin devait se défendre contre les troupes russes. Ils étaient situés dans un village à 20 km au sud-est de Sumy. Les soviétiques lancèrent une attaque « formidable » autour des voies de chemin de fer de ce village. Face au chaos, la compagnie de Justin dut se replier pour éviter d’être anéantie. Malheureusement, parmi les blessés, il y avait Justin. Devant l’impossibilité de le ramener, il devint prisonnier par les russes.
Sa présence n’a pas été constatée dans un camp soviétique de prisonniers de guerre. Force est de constater que Justin a du succomber sur le champ de bataille ou peu après sa blessure et son éventuelle capture…
Ainsi, il y a moins de 80 ans, Justin est décédé sur le sol ukrainien où il a été inhumé. Aujourd’hui, la guerre y fait à nouveau rage. Je suis triste de voir que l’histoire se répète et que quelques uns sont capables de conduire des pays tout entiers, des enfants, des femmes et des hommes dans les horreurs de la guerre. Assez modestement, cet article est pour moi un hommage à toutes celles et ceux qui ont été touchés par la guerre. Dans l’espoir d’une paix retrouvée…
10 commentaires sur “Le parcours d’un Malgré-Nous : Justin WALENTIN”
Quel bel hommage. Et quel étrange sentiment de résonance avec l’actualité 🙁
Merci beaucoup Céline pour ta lecture. Oui c’est tellement en résonnance avec l’actualité du moment :-/
Votre article est très touchant et si bien recherché. Mais que faire quand on à affaire à un « mad-man »?
Merci beaucoup Annick ! Qu’appelez-vous un « Mad-man » ?
Un billet aussi documenté qu’émouvant. Tu as raison, Sébastien, l’histoire bégaie… Quelle tristesse ! Marie
Bonjour et merci beaucoup Marie pour ta lecture et ton commentaire. C’est bien triste que l’humanité n’arrive pas à tirer les leçons du passé… A bientôt 🙂
Superbe article, quel bel hommage …
Je tente de retrouver trace de mon grand oncle disparu en 43 et exploite vos pistes
(Déception pour moi de ne pas retrouver de numéro FPN sur la fiche nominative trouvée sur le site mémoire des hommes …)
D’ailleurs, je n’ai pas compris qui établissaient ces fiches à l’époque et quand, sauriez-vous me dire ?
Merci beaucoup Céline pour le commentaire 🙂
Les fiches nominatives renvoient vers les dossiers individuels de régularisation d’état civil et de demande d’attribution de la mention « mort pour la France ». Ces procédures ont été réalisées à l’initiatives des familles après la guerre.
Bonnes chances pour vos recherches !
(Je pense que vous avez déjà consulté cet article, mais au cas où, tout est plus finement expliqué ici : https://marques-ordinaires.fr/challenges-defis/malgre-nous-les-recherches-sur-les-incorpores-de-force-mosellans/
Beau travail de recherche, c’est toujours très émouvant de mettre virtuellement nos pas dans les leurs